Souvent négligée: la charge inégale du cancer chez les hommes en europe

par Dr. Sam Ward et Pr. Hein Van Poppel - Medi-Sphere

Les hommes sont considérablement plus touchés par le cancer que les femmes, un fait que les décideurs politiques en matière de soins de santé négligent souvent. En 2020, le taux de cancer normalisé selon l’âge chez les hommes dans 40 pays européens était de 660 pour 100.000, contre 456 chez les femmes, avec des taux de mortalité respectifs de 348 et 200 (1).

Incidence et mortalité plus élevées chez les hommes

Le taux d’incidence et le taux de mortalité de presque tous les cancers, à l’exception des cancers de la thyroïde et de la vésicule biliaire, sont plus élevés chez les hommes. En ce qui concerne les cancers du poumon, de l’estomac, des lèvres, de la cavité buccale et de la gorge, en particulier, ces taux sont plus de deux fois supérieurs chez les hommes, par rapport aux femmes.
L’incidence du cancer de la prostate a même désormais dépassé celle du cancer du sein chez les femmes. Une évolution similaire est observée dans le monde entier, avec un taux d’incidence et un taux de mortalité supérieurs chez les hommes (2).

Quels sont les facteurs à l’œuvre? Plusieurs facteurs expliquent cette inégalité:

  • Facteurs comportementaux: le taux de tabagisme et le taux de consommation d’alcool sont en moyenne plus élevés chez les hommes, ce qui accroît leur risque de cancer (3).

  • Exposition professionnelle: les hommes sont plus souvent exposés à des agents cancérigènes en milieu professionnel (3).

  • Accès et recours aux soins de santé: les hommes sont moins sensibilisés à leurs propres symptômes (4) et sont plus réticents à demander de l’aide (5), ce à quoi s’ajoutent des obstacles à l’accès aux soins de santé de première ligne, comme la disponibilité limitée des rendez-vous et les préoccupations liées à la protection de la vie privée. Un comportement typique du mâle alpha est aussi évoqué: une tendance à penser que «ça va aller» (6).

  • Facteurs biologiques: les différences au niveau des chromosomes sexuels sont également une cause possible. Les femmes possèdent en effet deux copies des gènes suppresseurs de tumeurs sur le chromosome X (7).

quelles recommandations politiques pour l’avenir?

Afin de prendre en charge ces problèmes, l’Inequalities Network de l’European Cancer Organisation a organisé; en avril 2022, une table ronde qui a débouché sur quatre recommandations importantes:

  1. Inclure le dimension de genre dans la politique en matière de cancer: reconnaître la charge excessive du cancer chez les hommes et lutter contre celle-ci, dans le cadre des efforts pour prendre en charge les inégalités liées au cancer. La dimension de genre doit devenir un indicateur fondamental. En outre, les inégalités des résultats entre les hommes de différents pays doivent être abordées de manière coordonnée (8).

  2. Interventions sanitaires ciblées: mettre en œuvre des programmes ciblés pour les hommes afin d’améliorer les habitudes de santé et l’utilisation des services (prévention). Un exemple: le programme Football Fans in Training en Écosse est un exemple de réussite, qui a permis d’améliorer les pronostics de santé d’hommes obèses grâce à un programme de contrôle du poids et de vie saine de 12 semaines dispensé par des coachs de la communauté (9). Des technologies telles que les jeux en réalité virtuelle peuvent également sensibiliser au cancer (10).

  3. Dépistage du cancer de la prostate et recherche: mettre en place des programmes de dépistage utilisant des méthodes avancées d’évaluation des risques afin d’éviter les surdiagnostics et les traitements inutiles. Continuer à investir dans la recherche, la prévention et l’accès aux nouveaux traitements des cancers avancés. Lors de cette table ronde, une initiative européenne contre le cancer de la prostate, sur le modèle de l’initiative européenne contre le cancer du sein, e été recommandée (11).

  4. Élaborer une politique de santé masculine: introduire une politique similaire à la politique nationale de santé masculine d’Irlande, qui a permis d’améliorer la littératie en santé et les comportements sains chez les hommes. Mettre en œuvre des programmes de vaccination contre le HPV neutres sur le plan du genre et des initiatives nationales de dépistage du cancer de la prostate, comme indiqué au point 3 (12).

Conclusion

Lutter contre la charge excessive du cancer chez les hommes exige des efforts régionaux et nationaux coordonnés, qui intègrent des stratégies spécifiques au genre dans la politique en matière de cancer. L’European Cancer Organisation a pour objectif d’inclure ces recommandations dans ses programmes de plaidoyer, afin d’influencer l’élaboration de la politique et d’améliorer les résultats en matière de cancer chez les hommes dans toute l’Europe (13). Ce problème est négligé depuis trop longtemps et requiert une attention immédiate. En tant que médecin généraliste, vous avez un rôle à jouer.

Rôle des médecins généralistes: les médecins généralistes peuvent jouer un rôle crucial dans l’inversion de cette tendance, en accordant une attention particulière à la prévention du cancer et au diagnostic précoce chez les patients masculins lors de consultations pour d’autres problèmes. Depuis 2019, la vaccination contre le HPV est remboursée pour les garçons en Belgique. Cependant, les données montrent encore une couverture insuffisante. Les médecins généralistes peuvent utiliser des campagnes d’information pour insister sur les principaux symptômes des cancers très fréquents, afin que les hommes consultent plus souvent un médécin généraliste et s’inquiètent davantage (14).

Références
1. Dyba T, Randi G, Bray F, et al. The European cancer burden in 2020: incidence and mortality estimates for 40 countries and 25 major cancers. Eur J Cancer 2021;157:308-47.
2. Sung H, Ferlay J, Siegel RL, et al. Global cancer statistics 2020: GLOBOCAN estimates of incidence and mortality worldwide for 36 cancers in 185 countries. CA Cancer J Clin 2021;71(3):209-49.
3. Bertin M, Thébaud-Mony A, Counil E, Giscop93 study group. Do women and men have the same patterns of multiple occupational carcinogenic exposures? Ann Work Expo Health 2018;62(4):450-64.
4. Niksic M, Rachet B, Warburtion FG, Wardle J, Ramirez AJ, Forbess LJL. Cancer symptom awareness and barriers to symptomatic presentation in England. Br J Cancer 2015;113(3):533-42.
5. Fish JA, Prichard I, Ettridge K, Grunfeld EA, Wilson C. Psychosocial factors that influence me's help-seeking for cancer symptoms. Psychooncology 2015;24(10):1222-32/.
6. Mursa R, Patterson C, Halcomb E. Men's help-seeking and engagement with general practice. J Adv Nurs 2022;78(7):1938-53.
7. Dunford A, Weinstock DM, Savova V, et al. Tumor-suppressor genes that escape from X-inactivation contribute to cancer sex bias. Nat Genet 2017;49(1):10-6.
8. Aapro M, Baker P. Men and Cancer: Raising the Issues. European Cancer Organisation, 2022.
9. Hunt K, Wyke S, Gray CM, et al. A gender-sensitised weight loss and healthy living programme for overweight and obese men. Lancet 2014;383(9924):1211-21.
10. Hegarty J, McCarthy M, Davoren M, et al. Enhancing men's awareness of testicular diseases. HRB Open Res 2023;5:25.
11. Van Poppel H, Roobal MJ, Chapple CR, et al. Prostate-specific antigen testing as part of a risk-adapted early detection strategy of prostate cancer. Eur Urol 2021;80(6):703-11.
12. Moffat J, Bentley A, Ironminger L, Boughey A, Radford G, Duffy S. The impact of national cancer awareness campaigns. Br J Cancer 2015;112(Suppl 1):S14-21.
13. European Council Press Release. Council updates its recommendation to screen for cancer, 2022.
14. Richardson N, Carroll P. National Men's Health Policy 2008-2013. 2008.
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Dr. Sam Ward : Urologue-Andrologue